Gardons le fil - Zoom sur Jardins secrets - Journal intime
IFT
Mercredi 3 juin 2020

Sartre écrivait ses Mots, Chateaubriand ses Mémoires d’outre-tombe et Rousseau ses Confessions. Les deux voix de Sarraute racontaient son Enfance quand fiction et autobiographie se mariaient dans W ou le Souvenir d’enfance de Perec. Au Temps des secrets de Pagnol, se superpose le temps de l’histoire du Journal d’Anne Frank.

 

À la manière de ces écrivains, l'Institut français de Tunisie avait lancé il y a quelques semaines un concours d'écriture sur le thème "Jardin(s) secret(s)". Les participants devaient réaliser un autoportrait et un portrait.

 

Un jury d'écrivains ayant délibéré, découvrez, sans plus tarder, le texte de la gagnante Wissal Hawami.

 

Jardin(s) secret(s) : journal intime pour des ados bien confinés

par Wissal Hawami

 

Autoportrait moral

La personne qui habite mon corps, mon âme, mon esprit ou peu importe le nom qu’on lui donne est unique, à l’image de toutes les autres âmes sur cette terre, persuadée qu’elle n’est personne et, pourtant, elle réside en quelqu’un. Si elle pouvait bien s’exprimer, elle dirait qu’elle est forte, vraiment très forte. Elle le dirait sans la moindre arrogance : au contraire, elle le dirait avec terreur. Et elle regretterait l’avoir dit parce qu’au moment où un rire éclaterait dans son dos, elle se dirait que tout le monde se moquait d’elle. Elle rentrerait dans le fond de mon corps, n’oserait plus parler et, la nuit, prierait de ce qu’il lui reste de foi que le coussin réussira à étouffer ses sanglots.

 

Elle penserait, quelques jours plus tard, qu’elle aurait dû dire qu’elle était naïve, au lieu de forte. Ce qui est aussi vrai. Mon âme est dotée d’une naïveté juvénile immense. Elle croit encore non seulement à la beauté des roses mais pis que ça, elle chantonne encore les vers périlleux de leurs épines. Mon âme, figurez-vous, croit encore à l’innocence de ceux dont les yeux brillent de malice. Elle y croit, je crois, par désespoir, par déception ou par malchance. C’est tombé sur elle, et il faudrait faire avec.

 

Elle est consciente qu’elle n’est pas victime de son sort et elle ne s’en est jamais plainte. Mais elle aimerait, tout le temps, être quelqu’un d’autre pour voir ce que ça fait d’être dans la peau de quelqu’un qui n’est pas elle. Pour les autres, mon âme est presque médiocre, presque insignifiante : un grain de poussière qu’on balaie et qu’on ne peut voir qu’à la lueur du jour, jamais la nuit, une goutte d’eau de mer salée qu’on avale par accident. Certains disent qu’elle est intelligente, douée ou parfois même drôle. Mon âme ne les croit jamais. Elle choisit de les ignorer. D’autres, certes, profitent d’elle. Ils profitent de ce qu’elle connaît, et de ce qu’elle ne connaît pas. La nuit, elle en pleure aussi.

 

Mais, je ne saurai vraiment dire si la personne qui habite mon corps est vraiment la personne que je crois être. Je ne saurai dire non plus si ce que j’écris est cohérent mais ça émane d’un "inexploré" profond qui fait surface pour la première fois.

 

La vérité c’est que je ne me suis jamais crue digne d’élire des mots pour me décrire, ou peut-être avais-je peur de me connaître ou de m’égarer dans le processus, de perdre une parcelle de moi sur le chemin.

 

Portrait moral d’une personne que j'apprécie

Je ne pourrai jamais choisir une personne de celles que j’apprécie et l’élire "reine" ou "roi" de ce que j’aime bien chez quelqu’un. Mais j’ai toujours su -et j’en suis persuadée- qu’il existe dans les méandres ténébreux de chacun d’entre nous un être miraculeux qui fait surface là où on ne s’attendait pas du tout.

 

Je dirai alors que j’apprécie, que j’aime ces personnes cachées en nous, ces bribes poussiéreuses de vétusté dont l’étrangeté fascine, ces petits personnages qui existent dans les dédales les plus lointains de notre cœur, subsistant à tous les maux qu’on leur fait subir, sans qu’on le sache parfois, des êtres plus beaux, plus innocents et surtout plus humains.

 

Ils se manifestent par moments de vulnérabilité ou de pitié ou quand on se noie dans des flots de sentiments plus forts que nous. Et nous en avons besoin lorsqu’on flotte sur les nuages fallacieux de l’indifférence ou lorsqu’on se bagarre avec les vagues de la haine.

 

Ces personnes-là sont ce qu’il nous reste d’humain et de pur. Ce sont les parcelles perdues d’anges déchus.

 

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Wissal Hawami